Au cours du mois écoulé, la reprise des marchés d’actions s’est confirmée, et les taux d’intérêt restent très faibles. Le CAC 40, qui a perdu jusqu’à 38% avec un point bas le 18 mars, s’est repris depuis et ne marque plus qu’une baisse de 15% (À date du 05 juin) par rapport à son plus haut depuis le début de l’année. Deux éléments ont rassuré les investisseurs : le plan massif de soutien de la Banque centrale européenne, via le rachat de dettes publiques et privées pour une enveloppe revue à la hausse à 1350 milliards d’euros, et des chiffres meilleurs que prévu pour le chômage aux Etats-Unis en mai.

Par ailleurs, contrairement aux crises passées, les taux ne subissent pas de hausses durables.

Taux toujours négatifs - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifs

Source : à partir de données FFA

Le TEC10 français revient même régulièrement à des valeurs négatives.

TEC10 français - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifsSource : Banque de France

Ce phénomène maintient sous pression les ratios de solvabilité, en particulier pour l’activité d’assurance vie. Le risque de marché se détériore en lien avec la baisse de la courbe des taux sans risque et la baisse des marchés actions.

Comparaison du RFR EIOPA mai 2020 - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifsSource : Eiopa

Concernant le risque de crédit, la détérioration de la notation des émetteurs induit une augmentation du SCR de défaut. S’y ajoutent des délais de paiement plus longs et une augmentation du risque d’illiquidité ainsi qu’une augmentation des spreads de crédit qui reflète la dégradation à la fois de la santé financière des émetteurs et de la conjoncture économique.

La hausse de la mortalité doit à ce stade être relativisée : y aura-t-il une baisse de la mortalité dans les mois à venir, après la surmortalité provoquée par la pandémie (pics de mars et avril 2020) ?

Nombre de décès en France en valeur absolue - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifsSource : à partir des données de l’INSEE

La crise a provoqué une augmentation importante du taux d’épargne des ménages. Au premier quadrimestre 2020, les encours de dépôts à vue et de dépôts rémunérés (essentiellement livrets A et LDDS) ont augmenté de 76 milliards d’euros (Source : Banque de France), dont 36 milliards de surplus par rapport à la tendance. Selon la Banque de France, les flux nets d’épargne financière des ménages seraient supérieurs de 55 milliards d’euros à leur tendance habituelle.

Taux d'épargne des français - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifs

Source : INSEE

Parallèlement, le taux de prestations ne subit pas, à ce stade, d’inflexion significative et reste en ligne avec les tendances observées en 2018 et en 2019. On ne constate donc pas de mouvements de rachats de contrats. Seuls les versements ont baissé.

La tendance s’inverse en revanche dans les arbitrages entre fonds euros et supports en unités de compte. Depuis janvier 2020, les épargnants ont réalisé des arbitrages nets en faveur des supports en UC, mais au global, le GWP (Gross written premium) est en baisse de 23% sur les quatre premiers mois de l’année.

Arbitrages nets de l'EURO vers l'UC - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifsSource : à partir de données FFA

Ce mouvement sera-t-il durable ? La collecte brute des UC est historiquement corrélée à l’évolution du CAC 40.

Relation CAC40 - GWP UC - Covid-19  quel impact sur les comportements des épargnants, les stress tests et l’allocation d’actifsSource : à partir de données FFA

L’enjeu porte aujourd’hui sur l’orientation du surplus d’épargne constaté au cours des derniers mois. Une partie sera utilisée pour des dépenses de consommation reportées durant la période de confinement. Pour le reste, il existe une probabilité importante, en relation avec la tendance du CAC 40, pour que les épargnants privilégient les fonds EURO, ce qui ne correspond pas au business model auquel tendent les assureurs.

Les fonds EURO et les supports en UC reposent sur des business models très différents :

  • une rentabilité essentiellement financière sur les supports EUR (marge d’acquisition souvent négative « parfois » compensée par une marge d’administration positive) ;
  • une rentabilité technique sur les supports UC (marge d’acquisition souvent négative malgré des rétrocessions UF compensée par une marge d’administration plus importante) ;
  • des taux bas qui pèsent sur la rentabilité financière des supports EURO ;
  • des taux garantis sur d’anciens contrats qui exercent parfois des contraintes fortes sur le minimum de PB (participation aux bénéfices) à distribuer ;
  • des stratégies d’allocation d’actifs et des coûts d’immobilisation des fonds propres très différents.

Au total, le contexte actuel a des impacts négatifs et perceptibles sur le niveau des différents SCR (de marché, de défaut et de souscription). L’augmentation de la mortalité constatée en mars et en avril devra être nuancée dans les prochains mois. En l’absence de comportements de rachats perceptibles à ce stade et avec une collecte brute orientée à la baisse, le risque principal réside dans un business model non conforme.

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Deuxième question : faut-il repenser les stress tests qui devront être effectués à destination des régulateurs français (ACPR) et européen (EIOPA) en raison des récentes évolutions des actifs financiers ? Comment ajuster son allocation stratégique pour améliorer la résistance des portefeuilles aux stress tests ?

Dans le contexte de crise des derniers mois, la gestion du passif a poussé les assureurs à détenir un important volet d’obligations, et donc à augmenter leur exposition au crédit et aux « govies ».

La valorisation du crédit, et donc des bilans, est maintenue artificiellement par les achats massifs des banques centrales. Cependant, le risque de crédit est très important. Selon les estimations de Moody’s, une vague de dégradation des notes de crédit corporate pourrait avoir un impact négatif de 30 à 50 points de base sur les ratios de solvabilité des assureurs européens. Le scénario exploré par Moody’s (abaissement de trois crans de l’ensemble des notations de dette corporate) est extrême mais met bien en lumière ce risque.

La nature sanitaire de la crise induit des stress sectoriels et invite les directions des risques à penser les scénarios de stress test par analogie avec les stress tests climatiques. Des propositions de stress tests sous un angle ESG et notamment climatiques ont récemment été soumises à consultation par l’EIOPA, dans la lignée de ce que met en place la PRA (Prudential Regulation Authority) au Royaume-Uni sur le climat.

L’impact de la pandémie de Covid-19 peut, comme le risque climatique, donner lieu à des chocs sectoriels. La même approche peut ainsi être retenue : quels sont les secteurs qui seront durablement affaiblis, ceux qui s’en sortiront mieux, ceux qui sont face à une mutation profonde ? Comme avec l’essor des entreprises Internet depuis vint ans, la physionomie des indices boursiers qui rassemblent les plus grandes entreprises pourrait sensiblement changer dans les années à venir.

A court terme, la stratégie d’allocation d’actifs peut être ajustée de manière transitoire. La pression acheteuse des maturités longues a mis sous pression les bilans de longue duration (5 à 10 ans). Les opportunités sont plus ouvertes sur le court terme, avec un marché plus liquide et malgré un risque plus élevé. Une gestion sélective et active est ainsi requise.

En adoptant une approche adaptative sur la partie obligataire, il est possible de réduire fortement le SCR, par exemple en favorisant l’achat d’obligation d’Etat de duration supérieure à 8 ans et en réduisant les spreads de crédit via des obligations d’entreprise de courte duration. Ces arbitrages doivent bien sûr être nuancés selon les besoins de cash-flow et en cas de modèle interne mais tendent à améliorer la résistance des portefeuilles aux stress tests.