Entré dans les offres en unités de compte à la faveur de la loi Macron de 2015 puis de la loi Pacte de 2019, le private equity semble trouver son public : en 2022, selon France Invest, la collecte des UC en actifs non cotés a atteint près de 2 milliards d’euros (en comptant les fonds de fonds). Cet intérêt pour une classe d’actifs longtemps réservée aux professionnels et à la gestion de fortune, pourrait encore s’accélérer avec le projet de loi Industrie verte et la réglementation européenne ELTIF2.

Cependant, la réglementation est-elle la seule condition d’un essor durable ? Dans quelle mesure cet essor est-il compatible avec les réalités opérationnelles actuelles chez les gestionnaires d’actifs et les assureurs ? Les contraintes de marché peuvent-elles engendrer une transformation des produits pour offrir une meilleure réponse aux exigences réglementaires de l’assurance vie et du PER ?

Private equity, une classe d’actifs en plein essor

En 2022, 25,5 milliards d’euros ont été levés par les fonds de private equity en France. Dans les UC, le private equity représentait 613 millions d’euros d’encours en 2022 (hors fonds de fonds). De plus, le nombre de FCPR référencés dans l’assurance Vie a plus que quadruplé entre 2017 et 2022, et le nombre d’assureurs ayant référencé un FCPR au sein de l’offre UC est passé de 7 en 2016 à 29 en 2022.

Cet essor tient largement à l’évolution de la réglementation, qui a favorisé le fléchage de la collecte vers l’investissement non coté, dans l’objectif notamment de soutenir l’innovation et le développement local et national des entreprises. Par ailleurs, cette classe d’actifs, longtemps réservée aux professionnels institutionnels, offre une diversification recherchée par les investisseurs et donne à l’acte d’investissement une dimension plus concrète que des produits structurés ou des ETF.

Avec le projet de loi « industrie verte », la réglementation entend aller encore plus loin. Bercy envisage ainsi d’inclure par décret une part minimale de non coté dans l’assurance vie et le PER. Cette mesure serait circonscrite à la gestion pilotée dans un premier temps. Des réflexions sont en cours pour définir la taille de cette poche de non coté selon le profil de risque du client. L’objectif est double :

  • pousser les distributeurs à présenter systématiquement une gestion pilotée profilée en assurance vie, avec des grilles qui proposeraient davantage de private equity,
  • et travailler sur la gestion de la liquidité pour les assureurs et les assurés.

Des mesures qui, selon Bercy, pourraient générer des flux de collecte de 1,5 à 3 milliards d’euros par an pour le non coté en assurance vie, et entre 1 et 2 milliards d’euros par an pour le PER.

Les assureurs se montrent réticents face à ces propositions, qui paraissent de nature à remettre en question « la libre faculté de contractualiser entre épargnants et compagnies ». Ils s’interrogent sur leur compatibilité avec le devoir de conseil et craignent une standardisation des produits, avec une uniformisation dans la composition des paniers d’UC en assurance vie. Certains soulignent également une absence notable dans les discussions : la liquidité.

C’est en effet l’un des défis que pose l’intégration du private equity dans l’offre UC. Sans compter des contraintes de marché significatives qui freinent son expansion.

Des contraintes qui limitent l’essor du private equity

Deux mondes s’entrechoquent, chacun avec ses spécificités et ses contraintes propres.

Tout d’abord, les contraintes opérationnelles que rencontrent les assureurs rendent l’intégration du private equity très fastidieuse. La première, et la plus citée, est la gestion de la liquidité. D’un point de vue réglementaire, les assureurs sont dans l’obligation de rembourser les épargnants en cas de rachat de tout ou partie de leurs contrats d’assurance vie. Le marché a apporté deux types de solutions pour faire face à cette contrainte : mettre en place une lettre de liquidité claire entre la société de gestion et l’assureur ou opter pour un fonds perpétuel dit « Evergreen », considéré comme un gage de liquidité sur le marché.

En outre, les processus opérationnels actuels de la chaîne UC sont très denses et complexes. Du processus de référencement, aux rachats, en passant par le passage d’ordres, la gestion des rétrocessions et l’appel de fonds, intégrer cette classe d’actifs n’est pas chose aisée pour les assureurs. Des aspects à la fois réglementaires, opérationnels et techniques doivent être maîtrisés. Les outils ont également besoin être paramétrés en conséquence. Un réel projet de transformation peut être nécessaire pour avoir la capacité de référencer et administrer un fonds de private equity.

Qu’en est-il de la traçabilité ? Comme l’a rappelé Emmanuel Macron à l’occasion de la présentation du plan « accélérer notre réindustrialisation », l’objectif de la réglementation est de « flécher les encours vers les industries vertes et les PME/ETI, en mobilisant les investisseurs institutionnels pour lever plus d’argent et financer en fonds propres les acteurs du secteur. » En revanche, l’opacité des fonds de fonds peut soulever la question de l’impact local réel que peut représenter le private equity. N’y a-t-il pas un risque de dénaturer cette classe d’actifs en proposant des produits dans lesquels le lien avec les entreprises en portefeuille serait perdu ?

Une dualité se dessine entre un objectif de développement de plus en plus ambitieux, et des contraintes malheureusement fortes au niveau de la distribution. Bien que les chiffres de collecte soient très prometteurs, le private equity est ainsi soumis à un éventail de contraintes de nature à la cantonner à un marché de niche.

La voie est finalement clairement indiquée mais le chemin pas si facile à arpenter. Entre les contraintes de gestion et le volume apporté par la démocratisation nouvelle de cette classe d’actifs, les enjeux sont énormes pour chacun des différents acteurs de l’industrie. Même les experts du capital investissement se trouvent finalement peu équipés avec les produits disponibles pour affronter ces défis. Coincés entre un FCPR nécessitant l’agrément du régulateur, et un FPCI plus souple mais avec de fortes contraintes d’accès (ticket minimum élevé laissant de côté beaucoup de petits épargnants), il est bien difficile de trouver l’équipement idéal pour une large diffusion des produits.

Produits qui souffrent de cette dualité et doivent évoluer pour répondre aux attentes. Premier exemple avec le projet en cours de création d’un Plan d’Epargne Avenir Climat : réservé aux mineurs et distribué par les banques et les assureurs, ce produit serait rémunérateur (au-delà du Livret A) et offrirait des conditions fiscales attractives (0 impôt et 0 cotisation). Cependant, l’abondement de l’État, initialement prévu dans le projet de loi « industrie verte » présenté par le gouvernement et examiné fin juin par le Sénat, a été retiré en commission. Et n’a pas été réintroduit en séance.