Le développement des risques systémiques (climatiques et liés à l’effondrement de la biodiversité) remet en cause les modélisations classiques des organismes assureurs. En parallèle, les évolutions réglementaires liées à la taxonomie et au couple CSRD/NFRD appellent une refonte des stratégies d’investissements des assureurs. Des voix appellent ainsi l’assurance à sortir du cadre traditionnel. Dans ce contexte, la comptabilité apparaît une nouvelle fois comme matrice et reflet des changements que pourront connaître la profession et ses métiers dans les 5 ans à venir.

Dans sa séance du 27 septembre, l’Alliance Compta Régénération, créée et coordonnée par TEK4life, s’est penchée sur ces risques et sur le rôle que peuvent jouer les assureurs, les réassureurs et les banques publiques pour diminuer l’exposition aux risques et préserver l’assurabilité des activités et des agents économiques. Elle a également examiné l’évolution potentielle de la comptabilité pour mieux anticiper, répartir et réduire les risques systémiques. Les points clés à retenir.

Trois tables rondes ont permis de dégager des enjeux et d’explorer de premières pistes de réflexion pour limiter les risques systémiques, préserver l’assurabilité des activités et des agents économiques et favoriser une vision de long terme.

Cyrille Vu, PDG de SeaBird, et Laurent Zylberberg, Directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes, Groupe Caisse des dépôts et consignations (CDC) ont précisé les nouveaux défis et des nouvelles demandes adressées aux assureurs. Antoine Denoix, Directeur d’AXA Climate, et Hélène N’Diaye, Directrice générale adjointe MAIF en charge de l’Assurance de Personnes, des Investissements, de l’Actuariat et de la Data, ont exploré les réponses possibles des assureurs et les évolutions envisageables du métier. Pour la 3ème table ronde, Laurent Babikian, Directeur monde des marchés de capitaux du Carbone Disclosure Project, a dessiné les pistes pour une action radicale, pro-active en matière d’investissement.

Les pistes avancées par les intervenants sont les suivantes :

  • Adopter une approche holistique : la pandémie et désormais le changement climatique ont montré que les risques sont interdépendants. Ce phénomène risque de rendre caduc le principe de mutualisation, et de rendre inassurables des pans entiers de l’économie.
  • Doter certains éléments naturels d’une personnalité juridique : avancée par ses partisans comme un moyen de renforcer la protection de la nature, cette idée est contestée par d’autres qui estiment que les actions en justice sont d’ores et déjà largement possibles. Le débat est ouvert. Quid de la piste qui consiste à doter des éléments de la nature d’une personnalité juridique ?
  • Favoriser l’entreprise régénératrice : le « do not harm » ne suffit pas.  Il s’agit de favoriser des business models régénérateurs, intégrant l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise (ses collaborateurs mais aussi ses ressources naturelles). Cela passe par un changement de logique : passer d’une vision de pricing court-termiste (donner à un assuré le prix du jour) à une vision de long terme (comprendre les enjeux d’assurer tel client sur le long terme).
  • Porter attention aux enjeux d’inégalité : L’individualisation des tarifs, par exemple en MRH, en fonction de la région d’habitation et des actions de prévention qui peuvent être mises en place par les communes, crée une inégalité dans l’exposition au risque climatique.
  • Intégrer la comptabilité extra-financière dans la prise de décision : la comptabilité extra-financière ne peut pas rester un complément optionnel à la comptabilité financière. Cependant cet outil doit progresser : les métriques produites par la comptabilité multi-capitaux ne sont pas encore assez fiabilisés, et le passage du qualitatif au quantitatif porte encore une grande part de subjectivité. L’enjeu consiste notamment à intégrer le long terme dans les processus décisionnels des entreprises.
  • Favoriser l’articulation entre privé et public : tout ce qui relève du bien commun ne peut pas relever de l’assurance, c’est-à-dire être financiarisé, ce qui le privatiserait. Il doit relever du public. Au-delà de l’enjeu de l’assurance, les acteurs publics (BPI, CDC) peuvent aussi favoriser la mise en œuvre de projets peu rentables économiquement mais vertueux, en les « dé-risquant ».
  • Adapter la réglementation prudentielle : Solvabilité 2 n’intègre pas aujourd’hui de variables environnementales, sociales et de gouvernance.
  • Encourager les financements verts : à l’instar des Sustainability Linked Bonds and loans, ces financements qui abaissent le coût du capital tout en assurant que l’entreprise atteint des objectifs sociaux ou environnementaux. Ce type de prêts permet d’aligner les intérêts des investisseurs avec ceux du « Chief Value Officer ».
  • Changer les indicateurs : à titre d’exemple, la balance commerciale actuelle ne prend pas en compte les importations de carbone. Il faut ainsi sortir du paradigme, erroné, selon lequel la nature est gratuite et les ressources naturelles illimitées. Il faut ainsi apprendre à tenir compte des externalités négatives des activités économiques pour une allocation plus vertueuse des investissements. La mesure de la performance financière pour les actionnaires doit, pour la même raison, être revue.

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*TEK4life a constitué et développé l’ACR depuis 2020. TEK4life est un accélérateur au service de la transition comptable des organisations, dans le sens d’une « soutenabilité forte » de leurs activités. Elle entend contribuer à la transformation des cadres comptables et à doter les dirigeants de tableaux de bord sensibles aux réalités écologiques, humaines et sociales, pour les orienter vers des choix justes.