Que faire de la data ? Un problème de business model pour l’assurance

L’utilisation du big data  permet aux assureurs d’obtenir un profilage toujours plus précis, qui laisse planer le spectre d’une discrimination des « mauvais risques » (surtarification, incohérences liées au choix algorithmiques [1]). Néanmoins, l’amélioration du profilage et l’approfondissement de la connaissance du risque ne constituent en aucun cas les seules perspectives de valorisation des données.

Pour exploiter le volume croissant de données, les assureurs tentent d’infléchir leurs modèles économiques. La logique d’indemnisation a posteriori se trouve complétée par la proposition de conseils et de services préventifs basés sur l’utilisation croissante d’objets connectés au service de la prévention des risques. Du point de vue de l’assureur, le bénéfice le plus facilement exploitable du big data ne réside donc aujourd’hui pas tant dans le surcroît de connaissance qu’il procure que dans sa mobilisation pour la diminution des risques. D’où l’importance pour les acteurs du secteur de doubler leurs logiques de collecte d’une stratégie de diffusion de la donnée. L’initiative Give Data Back et le développement de l’assurance paramétrique illustrent bien ce double mouvement.

 « Give Data Back » d’AXA : leçons d’un projet pilote

Ouverte par AXA d’octobre 2017 à mai 2019, la plateforme « Give Data Back » partageait  publiquement des données anonymisées relatives aux dégâts des eaux et aux cambriolages dans six pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, et Suisse). Pour une zone géographique donnée (le maillage retenu était le code postal), le site associait le niveau de risque constaté et la fréquence de sinistres.

Pareille démarche comporte deux enjeux majeurs :  offrir à chacun une prise de conscience objective des risques auxquels son habitation est exposée, et favoriser la diffusion de méthodes de préventions simples à mettre en œuvre. La plateforme d’AXA permettait d’accéder à des données relatives à l’occurrence, aux coûts moyens du sinistre, mais également à des données contextuelles. On pouvait par exemple y apprendre que 80% des vols ont lieu en journée, que 35% des cambriolages surviennent alors que l’habitant est à son domicile, etc.

Prometteuse par certains aspects mais péchant par manque d’ambition, l’initiative Give Data Back a été stoppée par AXA faute d’avoir suscité l’intérêt des assurés. Ce projet pilote n’avait en effet pas pour visée la transformation commerciale de l’information : il n’était par exemple pas possible de renégocier le montant de son contrat d’assurance par suite de la prise de mesures de prévention. L’expérience semble cependant annoncer la tentation du secteur de faire basculer progressivement le centre de gravité de l’assurance, d’un modèle principalement fondé sur la gestion de l’indemnisation vers un modèle ambidextre, où l’indemnisation et doublée d’un pan de services préventifs s’appuyant par une maitrise accrue de la donnée.

L’assurance paramétrique : évaluation immédiate de l’impact des aléas par exploration des données contextuelles

Les assureurs devront à l’avenir veiller à équilibrer leurs usages de la data. Les données relâchées en direction des usagers serviront à nourrir les services de prévention du risque, tandis que les données captées permettront d’optimiser les produits d’assurance usuels comme l’indique le développement de l’assurance paramétrique.

L’assurance paramétrique est fondée sur l’évaluation d’un dommage ou d’une perte pour l’assuré en se basant sur l’exploration de données contextuelles (ou « paramètre »). Si par exemple le parc automobile d’un constructeur se trouvait endommagé à la suite d’un épisode de grêle, les dégâts ne seront plus constatés in situ par des experts, mais directement évalués à partir de données permettant de caractériser le phénomène comme le poids et la taille des grêlons, la durée de l’épisode etc.

L’assurance paramétrique sert aujourd’hui à couvrir des risques climatiques. Mais le champ des applications potentielles de ces solutions d’assurance, qui est fonction des données collectées servant à déclencher l’indemnisation, semble bien plus vaste. Pour que le modèle bénéficie d’une rentabilité optimale, l’assureur doit accompagner le client en procédant à une analyse précise des risques, qui nécessite un jeu d’expertises croisant une compréhension fine du métier du client et des compétences assurantielles spécifiques : choix des capteurs, gestion de la collecte de données, data science

Trois modalités de valorisation des données se dessinent actuellement dans le secteur de l’assurance : l’optimisation de la conception des produits et de leur tarification par les data science, le développement de services de prévention basées sur la connaissance des risques, et l’assurance paramétrique. La première option est largement explorée mais semble limitée par les caractéristiques structurelles de l’activité, les deux dernières pistes semblent amenées à jouer un rôle croissant dans le renouvellement digital du business model assurantiel.

 


[1] Par exemple : un nouveau client ayant eu deux accidents automobiles dont il n’est pas responsable pourra être mieux noté qu’un automobiliste déjà assuré sans accident si l’algorithme ne postule pas l’indépendance statistique des événements et tient compte de l’aléa. Dans un tel modèle, l’automobiliste sans accident aurait statistiquement plus de chance d’en avoir un (même non responsable) que l’automobiliste en ayant déjà eu deux.